jeudi 19 juin 2008

Jules & Jim, again.

C'est drôle comme avec le temps l'on change tellement que l'on devient parfois étranger à soi-même. Quelques instants.


Je me rappelle d'une enfance tendre et dorée durant laquelle je défendais avec acharnement mes valeurs. Je puisais ma force dans la rationalité, et à dix ans l'on me disait cartésienne. Ou presque. Je ne sais pas si c'est Truffaut, la belle Jeanne, ou le tourbillon de la vie qui m'ont entraînée vers ce chemin de traverse que longtemps j'ai trop ignoré pour ne pas m'y reperdre aujourd'hui encore. À l'âge où les Jules se mêlent aux Dulcinée timidement, j'ai plongé la tête la première dans l'inimaginaire de mon imagination, le plus improbable de tous mes fantasmes: j'ai eu un Jules, et un Jim. 
Au départ, c'est parce que j'hésitais, indécise, trop de choix peut-être. En cette douce nuit d'avril j'étais confondue... Mais, tu les mérites tous, m'a dit un bel ami, alors pourquoi choisir? Voilà donc la première confrontation à mes frontières mentales, à mes limites intimes: je me devais de les repousser, un peu, pour mieux déployer mes désirs. 
N'allez pas croire qu'il est aisé de ne pas se prononcer clairement sur un personnage de la gent masculine; j'ai du faire des courbettes de cils et des regards de femme fatale, ou de petite fille hagarde, des réparties bien trempées ou des silences prononcés pour passer entre les étroits filets de l'homme sûr de lui. Il me veut, moi, et moi je veux lui, oui, ou l'autre. Aussi.
J'arrivais à peine à croire en mon jeu que je flirtais déjà entre mes deux jeunes hommes, l'ivresse et le noir m'aidant à me croire femme, et forte. Et pourtant ma délicate position, ce n'était pas du porno, de l'obscène. Quand je pense Jules et Jim plutôt que Rocco et ses frères, j'ai mes raisons. C'était mon cinéma. Avec un beau scénario.

D'abord, parce qu' ils s'aimaient étrangement, intensément. 
Ils s'aimaient plus qu'ils ne m'aimaient, moi, et c'est pour cela que ça marchait, notre histoire. Avant l'une de mes caresses, il y avait leur camaraderie, leur passé commun, leur histoire, leur histoire d'amour d'amitié qui nous englobait et qui m'intégrait doucement. Avant mes baisers, il y avait leurs complices regards. Avant ma peau...
Il nous aurait fallu peut-être de la prudence; notre fougue l'a remplacée par du silence. Ainsi, nous n'avons jamais évoqué ce tendre printemps, chaud comme le pire des étés; serait-ce par pudeur, par ignorance, par gêne?Que sais-je. Il est difficile de décrire l'instantané, de colorier aujourd'hui nos cartes d'enfants du passé.  Par mes mots je brise à tatons notre pacte d'arbre gravé, mais c'est peut-être mon rôle d'y mettre le point. À défaut d'une Catherine, d'un vrai suicide, je nous tue littérairement. Je leur essaie des étiquettes, à mes amours, je les appelle par d'autres noms, d'un autre film qui n'est pas le nôtre et qui pourtant nous ressemble superbement.
Vivre un bel amour, finalement, c'est peut-être pas si compliqué que cela. Nous avions bon nombre d'ingrédients pour que fonctionne la terrible recette, et l'inventaire de la passion était complet: nous étions très jeunes, on se foutait de tout et notre meilleure évasion était  une vieille belle bagnole. Et cette route, face à nous, sans brouillard et sans limite. Que du soleil. 
Je me souviens bien, on voulait aller jusqu'à l'eau, jusqu'au sel. Nous sommes partis à l'aube, on s'était simplement pas couché. La voiture fonçait, le paysage se déroulait et s'évanouissait avec des gris et des verts de campagne. À peine arrivés, on a d'abord acheté du vin, puis des fromages, et du pain, pour un pic-nique sur la plage... On se voulait hédonistes. 
Et comme si déjà à trois c'était trop, déjà, la plage était déserte, morne et ensoleillée, sombre et éblouissante. Belle mer du Nord, sel de nos rires qui éclaboussent. Il nous aurait fallu un polaroïd pour immortaliser cette aube-là, du concept, mais nous n'avions que nos yeux mi-clos, endoloris de manque de sommeil et de trop d'alcool, pour nous souvenir... Pas d'images pour ce jour qui nous a peint de la façon qui nous ressemble le plus. Pas même un brin de musique pour accompagner nos cheveux qui s'emmêlaient au rythme des vagues et du vent. Mais on a dansé quand même, on a tourbillonné... 
D'abord moi seule. 
Puis à deux. 
Puis à trois.
Again.
Les mains se serrent et se desserrent, quand l'un se couche ventre au sable, les deux autres se lèvent, viennent, vont, et vice-versa. Et vice-versa. Un versatile vice. Un vicieux versant. Une relation recto-verso, où tout est bon à prendre.


Je me suis endormie dans la chaleur de la plage et des bras de Jules. Jim était parti faire un tour. 
Je me suis endormie dans la chaleur de la plage et des bras de Jim. Jules était parti faire un tour.
J'ai dormi seule au soleil. Jules et Jim sont partis se balader ensemble.


Je les voyais faire des conneries vers la marée basse, là-bas. Ils m'ont ramené des coquillages et un tout petit crabe mort. Ils me l'ont lancé dessus pour me faire peur, mais je crois qu'ils ont dû bien prendre sur eux pour le ramener jusqu'à moi. Ils étaient aussi délicats, et peureux. Je me suis enfuie, j'ai couru, alors j'ai couru, et j'ai couru encore; Jim était derrière moi, et Jules devant, ou c'était le contraire, je ne sais plus. Non, je crois bien qu'ils étaient tous les deux derrière, ou ensemble devant. Eux et moi, moi et eux, lui, moi, lui, moi, lui. Peu importe. C'était une nouvelle géométrie amoureuse, comme dans un Duras. Pour bien s'aimer, être trois?

J'ignore encore si c'était une journée, ou plusieurs, et si ce sont les mois qui nous ont séparés, ou la vie elle-même; l'âge de raison n'est pas tendre pour les sales gosses. 
Nous nous sommes revus, reparlés, retouchés, r'aimés. Jusqu'à ce qu'un jour, de nous trois n'en sont restés que deux. Presque naturellement. Était-ce la logique et le travail du temps qui nous martelaient la tête, le goût sucré des relations en duo qui nous a dérobé, ou un pur hasard? Qui, de nous, a choisi? Dans notre langoureuse danse, pourquoi s'est-il éloigné? L'avons-nous délaissé, affaiblis par d'autres sentiments que de la complicité amoureuse à l'état sauvage?
Nous avons pris la même route intemporelle, lors d' une autre aube, et sous le même ciel on a voulu rouler avec la même vitesse. Nous sommes arrivés, plus sous ce brûlant soleil mais embués de brume. Aveuglés de ce fameux matin blanc. Nous avons dormi sur la plage, entrelacés l'un dans l'autre. Plus simplement. Nous avons eu nos silences, nos moments complices; à défaut d'une ancienne camaraderie, nous créions notre propre passé, notre manteau de souvenirs. Une nouvelle amitié, un autre amour... 

Le temps avait coulé, huileux, rapide, glissant; ce n'était plus la même bagnole, ce n'était plus le même chemin à parcourir. 
Notre voiture, ce matin-là, n'avait que deux places. Pas une de plus.
Le choix nous a donc ravi notre troisième maillon et nous ainsi, on était plus que deux, symboliquement et fortement, deux, comme des poumons, ou des alliances.





Deux. Comme des yeux.







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