lundi 18 avril 2011

Le Non du divorce

On sait trop peu de choses sur le divorce ; on passe souvent le plus clair de sa vie à penser plutôt au moment du grand "oui", endimanchée comme jamais.


Quand je me suis mariée à la va-vite à vingt ans, disant "oui" comme si je m'enfilais un shot de vodka, j'avais pas réalisé qu'un jour j'allais devoir faire face à mes actions : divorcer.
Divorcer, ça consiste en pleins de choses : d'abord, se haïr, pour être bien sûrs de vouloir se séparer ; puis se lasser des aléas sentimentaux de l'autre, oublier chacun nos promesses et enfin se pardonner ses erreurs. Une fois qu'on a bien transpiré du cœur, qu'on pense que plus rien de très grave peut nous arriver, c'est là que commence le divorce.


Il y en a des plus ou moins hardcore : pour certains, c'est diviser une vie à deux en deux; pour moi, la grande épreuve était d'amasser suffisamment de cash et de courage pour traverser les grandes eaux, comme dit le Yi-King, et rencontrer mon mari devant le juge pour l'audience préliminaire qui nécessitait absolument ma présence.
Ça m'a pris deux ans. Happée par d'autres histoires, j'avais même fini par croire que c'était pas trop urgent, divorcer. La blague.

Face à mes échecs amoureux répétés, un seul constat : régler le passé. Boucler la boucle.
Je devais retourner à l'autre bout du monde voir mon mari devant un juge, et lui dire ce qui allait de soi, finalement, puisqu'on est séparé depuis 4 ans : "Oui monsieur le juge, on veut divorcer." Et face à son insistance, je devais fermement ajouter :"Non, on ne veut plus jamais être ensemble. Jamais. On veut divorcer."



Après le oui du toujours, le non du jamais. Devant un représentant de l'état, encore et toujours.

Cette dichotomie d'extrêmes, ultra symbolique, flippante tant elle est évidente, je ne m'en suis rendue compte qu'une fois sur place, 5 minutes avant d'entrer en audience.

Mon futur-ex-mari était venu me chercher.

Il est venu me chercher dans la même pièce où l'on s'est rencontré il y a sept ans. A l'époque, il passait me prendre pour m'emmener à une fête; là, il passait pour m'emmener me faire ma fête, et la sienne aussi. La nôtre. La fête, un mercredi matin à 10h.




Arrivés au tribunal des familles -nous on était contents de se voir, on flirtait comme des mômes de 14 ans qui sont pas là pour divorcer, mais alors pas du tout-, nos avocats ont insisté à plusieurs reprises : "Soyez bien clairs, dites clairement que vous ne voulez plus, dites lui "non", "non", non." Le texte était limpide : on devait dire NON. Mais nous deux, on n'a pas pu s'empêcher de s'envoyer des vannes, pour décompresser, et pour se draguer encore un peu : "Fais attention à toi nena, nous fais pas le coup de la fille qui hésite", "Ça, c'est plutôt ton genre à toi, gordo, sois bien sûr de toi cette fois, déconne pas."


Les avocats hallucinaient, nous on rigolait nerveusement, assis sur un banc, attendant notre tour, en se filant des coups de coudes. En fait, on évitait de se sauter dessus et de régler rapidement cette histoire dans les chiottes. On se retenait. Vraiment. Beaucoup.


C'est qu'on n'en pouvait plus. Sept ans. On n'avait plus rien à voir, lui c'était un homme maintenant, et moi plus question de me peindre un avenir doré devant mes yeux attendris et larmoyants, j'avais grandi, on n'était plus les mêmes et pourtant nos corps se reconnaissaient. C'est comme s'ils savaient mieux que nous comme ils sont faits l'un pour l'autre. C'est comme si on avait envie de foutre tout le reste à la poubelle pour ne garder que ça, son corps, le mien, nos regards, et cette évidence-là.



J'ai plaisanté alors : "On aurait pu être de bons cousins, bordel", et il a acquiescé. Si nos corps ne s'étaient pas adorés, j'aurais continué longtemps à être une petite chose à protéger pour lui, une petite sœur pleine de bon sens qu'on emmène boire des bières et manger des empanadas en terrasse.

Il a fallu qu'on baise, et qu'on gâche tout. Qu'on goûte à tout, et qu'on se recrache.


Idéalement, on pourrait s'aimer et se supporter dans un pays imaginaire, nus en peaux de bêtes, à vivre d'amour et de vache crue ; mais Cordoba n'a rien de l'Eden, et Paris non plus. On a bien fini par comprendre que ça ne marcherait plus. La machine à rêves s'est pétée : il est a bout du monde, dans une ville où je n'habiterai plus jamais, et puis il a une petite amie.

Alors c'est là que l'angoisse est montée, et que j'ai totalement compris, faute de modèles : divorcer, c'est dire un "non" aussi fort que le "oui" qu'on s'était promis.
Ça m'a fait mal rien que d'y penser, avant d'aller en audience, une fois toutes nos blagues graveleuses épuisées : vraiment, plus jamais jamais de chez jamais ? Même pas dans nos rêves les plus fous ? Bon.
D'accord.
Après tout, c'est bien pour cela que je suis venue.


Alors on est entré dans la salle la trouille au ventre, faut qu'on dise non, faut qu'on dise non, et le juge a vérifié nos noms. La date de notre mariage. Depuis quand j'étais partie. Où j'habitais désormais. Plus il a sobrement conclu :

"Vue la situation, je ne vais pas vous faire le protocole habituel. Je n'ai pas d'autres questions... C'est bon, le divorce est lancé."

C'est tout ? "Oui."

On était abasourdis. On s'était gonflé à bloc. Hé, juge, on doit dire non, non ? On a mille non si tu demandes, t'es plus cap ou quoi ? Je peux dire non, vas-y, demande !

Mais le juge a rien demandé de plus.

On n'a pas eu à dire non.
Pas clairement, comme les avocats nous incitaient.

Et c'est là aussi que j'ai capté un autre truc sur mon mariage, et mon divorce, puisque l'un ne va plus sans l'autre : en vrai, on n'a pas de raisons de se dire non.


D'ailleurs, c'est la dernière chose qu'on s'est dit, se quittant sur le quai tendrement affolés d'un au revoir à jamais ou à quand, tandis que je lui souhaitais sincèrement toutes les douceurs du monde et qu'il m'en désirait autant : on n'a jamais dit qu'on s'aimait plus, hein.

Et c'est peut-être ça la particularité d'un vrai mariage : on a vraiment dit oui. Pour la vie.


Sauf qu'on n'a pas bien précisé comment on comptait la vivre, cette vie, à la longue.

Apparemment, séparément.

dimanche 17 avril 2011

La maudite éducation




Règle n° 1 : mettre sa main devant sa bouche quand on bâille.
Ça semble élémentaire, et pourtant, je crois que je ne connais pas un seul type qui le fasse. C’est l’une des choses qui me rebute le plus, surtout si je commence à peine à connaitre la personne, et que je ne l’aime pas encore : le voir entrouvrir de fatigue grand sa bouche ; j’ai l’impression de voir un cheval, et ça me dégoûte.



Mon éducation à moi n’est pas irréprochable pour autant. J’ai été élevée sur certains points à la sauvage, et pourtant les mêmes phrases ont inlassablement et impitoyablement bercées mon enfance : mets ta bouche à ta cuillère et pas ta cuillère à ta bouche, mets ta main devant ta bouche quand tu bâilles, enlève tes coudes de la table, tiens-toi droite, on ne chante pas quand on mange, ne traîne pas des pieds. Mon père a même tenté, en vain, de nous convaincre que « les enfants ne parlent pas à table. » Sans succès aucun.


A l’éducation qui se voulait bourgeoise de ma mère, s’ajoute un machisme bien argentin du côté des mâles de ma famille : de père en fils, ils marchent toujours trois mètres devant et c’est eux qui paient les coups. Générosité innée pour la nouvelle génération, du côté de mon père c’était minutieusement calculé : je l’ai vu inviter mes petits amis, payant leur coca d’un air méprisant, montrant par là qui était encore et toujours l’alpha, le seul à capter vraiment la précieuse valeur de sa chère fille et à payer son café. Il se ruait littéralement sur l'addition, me montrant en un mouvement de cils comme mon chéri était un empoté, loin d'être prêt face aux coups bas du père.


Adolescente, il ne laissait pas que je me servisse moi-même l’eau à table : une fois, il m’a pris la bouteille d'eau des mains, fermement, ajoutant : « Comme ça, tu t'habitues à être traitée convenablement, et tu supporteras pas un type qui te traite moins bien que ton père. »



Pauvre de moi.


La plupart de mes amours se sont terminées avec le reproche de « princesse » toujours prête à la déception et au caprice ; c’est que j’y peux rien, je ressens instantanément du mépris chez l’homme qui ne me sert pas l’eau à table, qui bâille béant, passe devant et ne tient pas la porte. Le pire, c’est qu’étant une simple question d’éducation, de forme, les plus galants ne sont pas forcément les meilleurs ; mais ça, j’ai toujours autant de mal à le croire sincèrement.


Une fois, j’ai cessé de voir un garçon beau, tendre et intelligent, parce qu’il ne m’avait pas servi le vin à table. C’est terrible, je sais, mais plus fort que moi. Certains se livrent à une bataille intérieure entre la maman et la putain, moi c’est entre le manant et le maintien. J’ai la superstition qu’il ne peut arriver rien de bon pour la suite, si ça commence comme ça : médiocrement. Ce qui explique aussi que je m’éclate aux côtés des hommes d’un autre âge : ils ont la filouterie de ne jamais laisser les verres des femmes se vider à table, par exemple. J’y vois une hypocrite galanterie, d’un autre siècle, à faire en sorte que la belle alcoolique à sa droite ne puisse plus compter ses verres, puisque jamais elle ne les a vidé, et que toujours ils se montrent sous leur meilleur jour : pleins.


Enfin, je trouve ça franchement plus joyeux : il y a quelque chose de lugubre, loin de l’idée même de l’ivresse et du vin, à devoir finir son verre pour le voir se faire remplir. Mélanger le boire et le mérite, non merci.




Le pire, c’est qu’à ces strictes règles qui ne s’illustrent désormais que chez l‘homme de plus de 40 ans, mes parents ont pris soin d’ajouter implicitement, toujours sur le ton de la blague, mais suffisamment récurent pour que ça s’imprègne, une étrange grille des qualités qu’un homme doit avoir pour entrer dans le famille (machisme oblige, les femmes peuvent se contenter d’être douces, débrouillardes et très jolies ; c'est pour les hommes que c'est vraiment la galère...) :

-avoir une véritable ambition personnelle, aimer et connaître le jazz, être un habile joueur d’échec, aimer la bonne bouffe et savoir cuisiner, être à la fois bricoleur et philosophe, de préférence les yeux bleus (j’appartiens à l’unique famille de juifs aryens arborant fièrement des yeux bleus depuis le Vème siècle avant J-C), parler convenablement au moins une autre langue, jouer parfaitement le tarot (au moins finir par sincèrement s’y intéresser) et enfin, vénérer les Beatles.


Gamine, j’avais deux petits amis, et je désespérais, ne sachant lequel « définitivement » choisir. Mes parents, avec des amis, en avaient fait le grand débat du dîner, et avaient solennellement proféré : « demande leur quel album des Beatles ils préfèrent, et choisis en conséquence. » Mention Spéciale pour celui qui choisissait le White album, ou encore Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band ; pour tout autre album, une savante justification était demandée.



Les malheureux Beatles, s’ils savaient qu’ils étaient devenus l’instrument d’une pure et simple discrimination… Quoiqu’il en soit, comme mes deux amoureux finirent par m’avouer ne pas trop connaitre les Beatles, et en tout cas d’être incapables l’un et l’autre de choisir un album précis, pensant être pétrie de bon sens, je finis par les quitter tout deux. Comprenez-moi : ce n’est pas que la perte était grande (à vrai dire, cet absurde test m’a évité une histoire d’amour avec deux idiots) mais enfin, cette histoire de valeur à outrance, ça frise l’intolérance. On dirait du communisme : c’est pleins de bonnes intentions et les idées ne sont pas trop mauvaises, mais ça finit par accuser la moitié de la planète.


Ainsi, je finis par frémir si par malheur j’aime un bel ignare aux yeux marrons...




C’est carrément à cause de ces nombreux petits détails intransigeant et exigeants que d’adorables prétendants ont terminé leur quête dans l’espace glacé du goulag sentimental. Out of Siberia.

Ceci dit, toute cette belle éducation pseudo érudite et bobo avant l’heure ne m’a pourtant pas empêché d’épouser un inculte en matière de jazz, insensible aux échecs, qui me faisait fondre avec des yeux de chinois couleur noisette.

Je pourrais dire que vu l’échec de cette relation, j’aurais peut-être mieux fait d’écouter le paternel ; pourtant, du plus loin qu’il m’en souvienne, je crois bien que le jour où je suis partie, il m’a bien tenu la porte.

Cordialement.


Comme quoi, la galanterie, à la fin, c'est tout ce qu'il reste.