jeudi 16 juillet 2015

Une fausse couche comme une autre

Ça fait trois ans que je n’ai pas écris ici, il faut dire que je bloggais à une époque où, bizarrement, faire de l’intime n’était pas si dérangeant sur internet. Avec les années, la maturité, la vie de bureau, j’ai trouvé ça de plus en plus difficile, et à raison, de me mettre à poil sur la Toile. Bizarrement, je reviens aujourd'hui pour écrire sur l’une des choses les plus intimes qui puisse arriver à une femme et un couple : la fausse couche. J’écris ici alors que la plupart de mes amis, et même des membres de ma famille, ne savent pas que ça vient de m’arriver et ne connaissent certainement pas les détails de la chose. Mais justement : c’est en ayant vécu une fausse couche que je me suis outrée du manque d’information et de l’étrange tabou qui l’entoure, le personnel médical usant toutes sortes d’euphémismes pour éviter de directement nous informer. Dans son livre Le Sexe des maladies, Peggy Sastre parlait du fait que peu de cobaye animal ou humain sont des femelles, car leur cycle hormonal rend plus complexes les expériences ; ainsi, les femmes sont plus sujettes aux effets secondaires des médicaments, par exemple. Un article de Slate revient dessus, pour ceux que ça intéresse. Pourquoi j’en parle ? Parce que j’ai le sentiment que c’est lié : seul le fait que la fausse couche soit typiquement féminin puisse expliquer, selon moi, la désinformation et la totale banalisation qui l’entourent.

Déjà, on pense que ce n’est pas bien « grave », et c’est donc traité comme tel, parce que c’est monnaie courante. Le viol, la violence conjugale aussi sont encore assez courants, il n’empêche que c’est grave. Ok, le parallèle peut être hasardeux mais comment expliquer qu’il n’y ait que sur des forums genre auféminin que les femmes vont oser en parler entre elles, expliquant leur plus ou moins grand traumatisme ? Une amie ayant vécu un avortement me disait : « Le pire, ce sont d’ailleurs les femmes qui l’ont vécu. Elles, elles n’ont aucune pitié. » C’est vrai, il suffit qu’une l’ait mieux vécu que les autres, avec moins de peine et de douleur, pour qu’elle se permettre de juger en un haussement de sourcils celle qui en chialera pendant des mois. J’ai moi-même été tentée de me dire la même chose, « faut pas exagérer », quand je lisais le témoignage de fausse couche avec prise de Cytotec (qui est d’ailleurs, à la base, un médicament pour l’estomac dont on s’est rendu compte, une fois sa mise sur le marché, qui provoquait des fausses couches… Marrant, hein ?) d’une femme sur un forum. Elle expliquait que, ne supportant plus aucun vêtement lors de ses contractions qu’elle compare à celle d’un accouchement, elle s’est vidée nue de son « enfant » (elle précise dramatiquement faire exprès de ne pas utiliser le terme « embryon ») à même le sol de la salle de bain, en laissant le soin à son mari de nettoyer ce qui est sorti de son utérus. Franchement, en lisant ça, je me suis dit que c’était un peu too much, et qu’elle en faisait trop. Mais qui suis-je après tout pour la juger ? Et qui est-elle surtout, à finir nue sur le carrelage de sa salle de bain ? Quelle est sa vie ? Son métier ? S’imaginait-elle un jour, après ses trois huit, dans une telle posture ? 


J’avoue, moi ça n’a pas été aussi trash, enfin disons que ma décence a pris le dessus, et que j’ai préféré me traîner à chaque fois jusqu’aux toilettes pour me vider en bonne et due forme sur la cuvette. Mais j’insiste : la fausse couche, on n’y est pas du tout préparée. Ni psychologiquement, ni verbalement, ni physiquement. Ok, dès le départ, quand tu tombes enceinte, on te dit qu’il ne faut rien dire avant les trois mois, que ça arrive à 20% des femmes de perdre l’embryon, et par superstition autant que par bon sens, mieux vaut ne pas en parler. C’est facile à dire, mais les premiers mois de grossesses sont tellement difficiles de fatigue, changement hormonal, énormes nichons visibles et joie débordante que moi, j’ai pas pu m’en empêcher, et j’en ai parlé. Erreur. Quand les choses se sont compliquées, je m’en suis bien voulu : à vrai dire, j’aurais préféré ne pas devoir répéter à tout va que ma grossesse se passait mal ; j’ai même dû faire un envoi groupé par SMS aux amis et collègues au courant, consciente de la bêtise de ma grande gueule. De son côté, mon copain l’a dit à très peu de personnes, et j’ai pu voir à quel point c’est un soulagement de ne pas avoir à s’éterniser sur le tragique.  Mais bon, ça c’est une remarque à part…


Il y a tant de choses qu’on ne m’a pas dit que je trouve ça profondément injuste. Peut-être aussi qu'à force de se battre pour l'avortement, il a fallu, pour les droits et dans l'urgence, taire un peu la réalité de la chose. Je comprends, mais je parle ici d'un traitement au cas par cas, de mon mec et moi face la gynécologue complètement ignorants de ce qu'il allait me/nous arriver. Tout ce que je savais, de la bouche de ma gynécologue, c’est que c’était un « moment difficile », que j’allais « beaucoup saigner », que la douleur différait selon les femmes et qu’il valait mieux que je le fasse chez moi, ne pas voyager durant quoi (on était en plein mois de juillet) et qu’il fallait que je me repose. Elle ne m’a certainement pas parler qu’en fait, j’allais avoir des contractions pour accoucher de ce que j’avais en moi; que j’allais tellement saigner que ça allait me laisser anémique pendant des semaines, fatiguée et douillette comme si j’avais la grippe. Et que le repos serait plus que nécessaire vu que je me suis depuis transformée en marmotte faiblarde.


Certes, le savoir n’atténue pas la douleur. Mais si j’avais su, je me serais mieux préparée ; j’aurais pris des vitamines tout de suite après, j’aurais vu un homéopathe pour remettre de l’ordre dans tout ça et éviter les micro-dépressions que j’ai subie dues non seulement au traumatisme physique, mais aussi à la chute d’hormones que la fausse couche provoque… J’aurais aimé qu’on me prévienne que « repos » signifiait plus clairement que je n’allais pas pouvoir travailler - heureusement, j’étais en vacances, tellement j’allais être crevée (de ne rien faire, d’ailleurs). J’aurais aimé aussi que l’échographiste me laisse peut-être deux semaines de répit, et non pas deux minutes alors que je venais d’apprendre que le cœur de l’embryon ne battait pas, pour me dire qu’il « faut s’y remettre tout de suite après, parce qu’une récente étude vient de le montrer : moins on attend avant de refaire un enfant et moins on a de chance de faire une fausse couche. » Franchement, j’étais sonnée, les jambes encore écartées avec son appareil dans le vagin et j’ai eu l’impression que c’était comme une chute de cheval : il faut s’y remettre direct. Avec mon mec, on était assez dubitatifs : est-ce qu’on a envie dans ces conditions de s’y remettre direct ? Après deux mois de grossesse assez cauchemardesques où, outre d’avoir tous les symptômes éreintants du début, j’avais l’impression de porter un truc dangereux et mal formé ?



Je me demande où est l’étude sur l’après, sur la récupération, les changements d’humeur, les douleurs physiques, le moral, la perte d’envie. Les jours qui ont suivi mon IMG (interruption médicale ou thérapeutique de grossesse, pour les débutantes), j’ai eu mille problèmes de santé, de la cystite à des douleurs au ventre à penser à aller aux urgences en passant par des migraines de dingue. Il aura fallu une sœur et des amies pour me dire que je devais manquer de fer, que je devais manger des fruits secs et du poisson, qu’il valait mieux que je reste au lit, que les tisanes de thym et de sauge font du bien…

Alors oui, j’aurais aimé qu’on me prévienne. Certaines préfèrent-elles vraiment ne rien savoir de ce qui les attend dans quelques heures ? Pas moi. Si je suis suffisamment forte pour me taper un mini accouchement d’un embryon mort, voir tellement de sang et sentir mes entrailles me passer à travers les jambes, suffisamment forte pour me taper des chutes de moral surréalistes et des migraines sans nom, je pense que je suis assez forte pour qu’on me prévienne. Et qu’on se le dise : faire une fausse couche, ça ne dure pas forcément les 3 jours du fameux Cytotec. Moi, ça m’a pris deux semaines, et je vois bien à mon visage pâle que ce n’est pas fini.