vendredi 24 juillet 2009

Corsée




Même mes amis les plus proches ont tendance à ne rien capter à mes origines.
Disons que je suis sacrément bâtarde, et qu'en fin de compte je peux plaire -ou déplaire, selon- à tout le monde. Autant juive que bouddhiste, des yeux clairs de Polack et l'esprit givré des Ukrainiens, la vodka qui coule dans mes veines depuis des décennies s'évapore aux chaleurs de l'Amérique Latine, de l'Argentine. Ado, le nombre de mauvais plans drague qu'on m'a fait à base de "t'as le sang chaud" ou de "Mais quel mélange!" en témoignent, du fameux mélange. Car croisements il y a.


Doit-on rentrer pour autant dans ce genre de clichés?

Ce n'est pas parce que du côté Russo-Ukrainien, il y a déjà deux suicides, et de nombreux alcooliques, que l'on peut prétendre, comme ça, à la va-vite, avoir un karma familial aussi lourd que les frères Karamazov... Je n'entrerai pas dans les clichés sur le judaïsme, et pas non plus dans ceux des footeux made in Argentina (je n'ai plus pleuré devant un match de foot depuis 1998, que ça se sache.)non seulement ça ne dit rien qui vaille, mais on a déjà tout ce qu'il faut à la maison. Ignorons la Abuela qui préfère toujours lorsqu'un garçon que je fréquente est"de la communauté", et disons simplement cinq fois "non merci" quand on n'a plus faim. On s'y fait. Jamais assez, finalement.

Mais la vraie ironie du sort, le pire du pire, ce qu'il ne pouvait pas nous manquer, c'est un peu de sang corse. J'en remercie encore le grand-père. Cependant, ne croyez pas tout ce que l'on vous raconte sur les familles corses. J'ose croire qu'il n'y a que dans la mienne où les membres sont tous avocats, tous escrocs sur les bords, et toujours enclins à régler d'abord à la carabine ce qui, en général, se règle à l'amiable, ou au poste de police. C'est une coutume de la famille de Corse, la haine du flic, et un sens étrange de la famille. Aigu. Aiguisé. En effet, l'idée de clan ne pardonne pas : certains ne se voient plus depuis, arf, plus de quarante ans.

La fameuse rancune des ténébreux insulaires? Connais pas.

Une famille scindée, ça reste quand même du même sang. Et c'est ça qui me fait bien flipper. C'est peut-être pour cela que je n'avais pas mis les pieds en Corse, depuis presque huit ans. (Tandis que mes proches y vont... tous les ans.)

Et après tant d'années, huit ans ce n'est pas rien, elle est là, la Corse, toujours la même, le même légumier, les mêmes boutiques du village, les poissons dans l'eau et les immortelles.
Les mêmes fleurs.



Et j'ai beau être partie un mois à l'autre bout du monde, baragouiner le chinois, il a fallu poser mes pieds sur l'île chaude, faire les deux heures de route pour aller à la maison de la côte, m'impatienter, pour enfin commencer à me détendre. Tout à coup, j'ai vu les vallées rocheuses, les collines brûlantes, la fumée, la mer, les trente degrés, la famille, les palmes, notre plage si bien gardée, les marches de pierre que l'on dévale pour s'y rendre, les immortelles, les mûres qui sont toujours, encore, pour toujours, trop hautes et que je n'atteins toujours, encore, pas, les bougainvilliers, la même table, la même maison, et je me suis demandée alors où j'ai été ces huit dernières années.
Qu'est-ce donc que j'avais pris pour des vacances. Quel illusoire bien-être, repos, je m'étais allée chercher à l'autre bout des mondes. Et ce que j'avais fuis si longtemps.

Au bout de la plage, il y a toujours ce même rocher.





Petite montagne minuscule, qui cache un peu de sable. On peut s'y asseoir, et regarder la mer. Moi, au bout de la plage, j'y vois encore des fantômes. Toujours semblables au passé. J'ai grandi et changé mais les sentiments se sont agglutinés au lieu, et au sable, et rien ne peut plus changer. Je vais dans la mer. J'ai mon masque et mon tuba. Piqué les palmes. Huit ans. Je sais toujours dans quels coins de l'eau sont les coquillages; je chasse les poissons, et prend les oursins dans mes mains.

Comme quand j'avais huit ans.

J'évite de contempler trop longtemps la plage. Les silhouettes du passé ne sont plus, hélas, vivantes; je les ignore du coin de l'oeil, d'un coup de palme.

Je sais qu'elles ne bougeront pas.

Je suis dans le salon. Trop de secondes s'y sont écoulées, elle a trop marché sur ce carrelage, m'a trop reproché mes taches de monoï sur les dalles pour que la maison ne la respire encore.



La maison, je ne crois même pas qu'elle fait semblant. Peut-être qu'elle manque à la maison, aussi. Que la maison aimerait, tout comme moi, tout comme, la ravoir dans sa chambre principale qui donne sur la mer, et qu'elle voudrait de son léger paréo qui sèche en ses rebords; qu'elle accepterait tranquillement son ombre, et la petite chienne vivace, qui partout allait, et suivait la sainte patronne.

Qu'elle voudrait qu'elle refasse mes plats préférés dans sa cuisine. Et ses siestes, ses après-midi moites où elle était plus qu'une maman, tandis que moi je pêchais les oursins, en bas, à l'ouest.



Je suis sûre maintenant que je ne leur échappe plus. Que mes souvenirs me grondent, si je les ignore trop longtemps. Ils m'ont mis une grosse gifle sur les chemins. J'ai éclaté en sanglots, sur la route, rien qu'à regarder les collines qui savaient que je rentrais à la maison...

Pas ma maison où j'habite, mais la maison où j'ai vécu.
Concentré d'instants présents qui gigotent encore. Incessantes mélodies du passé.

Je pleurais, heureusement j'avais mes lunettes noires.
Je pleurais toute mon enfance et ma disparition et mes retrouvailles, et la radio beûglait la musique de Virgin Radio.

Déplorable.

C'était pire que dans le pire des films français. Vous voyez le genre? Des émotions puissantes, du mélo, le tout foutu en l'air à cause d'un cadre qui se veut trop réaliste, concret. Et ça devient moche.

Douce France...
On ne choisit pas ses origines, après tout.




*Merci à la belle Juliette d'incarner mieux que moi-même mon enfance...



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