jeudi 18 septembre 2008

L'énigme

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Cathedral Hill Hotel, San Francisco, California. 

On en a parcouru du chemin. On s'est perdu sur les routes ensemble. On en a eu pleins les yeux.
Il y a d'abord ce qu'on a vu comme paysages; du désert vaporeux, et sec, avec un goût qui reste longtemps dans la gorge, et des tours d'argent qui nous éblouissent même les jours de pluie. On voulait tout traverser, en voiture, parce que ça fait du bien d'être cliché, parce qu'on avait le temps et l'argent, parce qu'on s'y croyait. Et il y a ce qu'on a vu de nous, face-à-face ou l'un contre l'autre, main dans la main, bras dessus-bras dessous ou main levée et coup de boule; ça en fait des souvenirs, et sur des décors de cartes postales futuristes et apocalyptiques on entrevoit une chevelure qui se tire ou un tee-shirt blanc relevé, déformé.


En avant la vieille américaine et la poussière. On n'est jamais à l'abri des pannes, mais quand il répare minutieusement, j'en profite pour pisser dans le no man's land et m'endormir au bord de la route, sur la terre dure. Ce voyage nous enrageait et nous excitait comme du bon sexe, nous étions ivres sans trop savoir de quoi, et drogués d'amour. De motels en hôtels on a pas cessé de grandir et d'exploser, de se toucher toujours plus fort et de tendrement se défoncer. On a eu peur d'aimer nos coups, nos dents, nos mauvaises blagues et nos rages; nous sommes des êtres doux dans la violence mais ardents en sentiments. Un Rimbaud et Verlaine sans fuite, sans problème, sans poème. Car enfin à la dernière heure on était toujours là ensemble, à se regarder bêtement droit dans les yeux, jusqu'au strabisme, jusqu'au rire, savourant déjà demain, sa main entre mes jambes au fil des kilomètres et mes dangereux baisers sur les paupières qui l'aveuglent avec insolence.


Il est si daltonien qu'il n'a jamais su mes yeux bleus, et gris. Il ne reconnaît pas non plus mon carmin ou mes rousseurs. Pour lui, je suis d'une autre palette et d'une autre peinture, arc-en-ciel sale intolérant de nuances, éclatant d'orgueil.

Il est 3h44. 
Je ne l'ai jamais vu regarder l'heure. Le premier cadeau qu'il m'a fait est une montre. Une vieille montre Tissot plate, en bois bordeaux, avec le bracelet blanc, en cuir tressé. Une montre magnifique. Il me l'a offerte cassée. Exprès.

Il est tôt.
Mes yeux se cernent de violet et ma bouche pâlit.

Mon bain coule...
Une fois on s'est endormis sous la douche, avec l'eau chaude qui nous fouettait. Dans une position incongrue. L'un dans l'autre. Mais confortable quand même. On s'est réveillé sans étonnement. On a refait l'amour, comme des poissons. Et le bruit de la douche résonnait encore quand on s'est rendormi, lui par terre et moi sur le lit.

Il fume trop.

Il est descendu dans le hall de l'hôtel il y a plus de quatre heures maintenant. Des cigarettes, il n'avait plus de cigarettes. 

Il n'a rien pris. Pas ce qui restait d'argent, pas les clefs de la voiture, pas de vêtement.
Pas moi.
Rien de rien.
Il est parti avec ce qui lui reste d'emprise sur moi, c'est à peine et pourtant c'est insurmontable, et la piètre élégance de n'avoir été mesquin: il m'a tout laissé; il m'a fait remporter le divorce. Malheureusement. J'aurais aimé pouvoir l'accuser, pleurer ses vols et sa bassesse.

Il était temps.
Je me baigne. (Mon bain déborde.)
Je marche dans le couloir de l'hôtel. (J'erre.)
Je reviens. (Eperdument triste.)
Je vomis. (Mais il ne sort pas de mon corps dans ces toilettes grises.)
Je reste, cette fois. (Car je n'ai plus d'idées, et peu de choix.)

Putain. Je me suis faite plaquée avec l'excuse bidon des clopes, ou des allumettes. Moi. La reine de Saba de l'extrême, la tarée d'à côté... Par lui. Mon prince ténébreux, mon ange insupportable, ma douce brute...

Il n'a rien pris, il ne reviendra pas.

J'ai eu un coup de fil de la réception.
Il m'a laissé un mot. 
Il n'a jamais été comme les autres, et même lorsqu'il disparaît trop comme tout le monde, il marque son geste d'une effroyable originalité. Une enveloppe, un mot. Tandis qu'il aurait pu me laisser dans la tourmente, me laisser le haïr, me torturer en me demandant pourquoi, m'interroger jusqu'aux aubes froides. Et échouer. Oublier la raison, me raisonner de cesser de la chercher. Cesser de le chercher. Oublier.

Sans mots, l'oubli serait venu comme un délicieux poison, il se serait emparé de notre histoire et de mon âme pour n'y laisser qu'un peu de nostalgie, de l'amour réchauffé par la mémoire comme avec un malheureux micro-ondes. Mou et tiède. 

Mais il me veut passionnée encore, et forte. C'est ainsi qu'il m'aime, c'est ainsi que je suis.










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2 commentaires:

Anonyme a dit…

On attendais un nouveau texte, c'est pas trop tôt ma petite cocotte.
Mais il faut vraiment que tu arrêtes d'imaginer une rupture de cette sorte.
Ton amoureux est amoureux de toi.

Ricardburton a dit…

We want more.
Ricard