On sait trop peu de choses sur le divorce ; on passe souvent le plus clair de sa vie à penser plutôt au moment du grand "oui", endimanchée comme jamais.
Quand je me suis mariée à la va-vite à vingt ans, disant "oui" comme si je m'enfilais un shot de vodka, j'avais pas réalisé qu'un jour j'allais devoir faire face à mes actions : divorcer.
Divorcer, ça consiste en pleins de choses : d'abord, se haïr, pour être bien sûrs de vouloir se séparer ; puis se lasser des aléas sentimentaux de l'autre, oublier chacun nos promesses et enfin se pardonner ses erreurs. Une fois qu'on a bien transpiré du cœur, qu'on pense que plus rien de très grave peut nous arriver, c'est là que commence le divorce.
Il y en a des plus ou moins hardcore : pour certains, c'est diviser une vie à deux en deux; pour moi, la grande épreuve était d'amasser suffisamment de cash et de courage pour traverser les grandes eaux, comme dit le Yi-King, et rencontrer mon mari devant le juge pour l'audience préliminaire qui nécessitait absolument ma présence.
Ça m'a pris deux ans. Happée par d'autres histoires, j'avais même fini par croire que c'était pas trop urgent, divorcer. La blague.
Face à mes échecs amoureux répétés, un seul constat : régler le passé. Boucler la boucle.
Je devais retourner à l'autre bout du monde voir mon mari devant un juge, et lui dire ce qui allait de soi, finalement, puisqu'on est séparé depuis 4 ans : "Oui monsieur le juge, on veut divorcer." Et face à son insistance, je devais fermement ajouter :"Non, on ne veut plus jamais être ensemble. Jamais. On veut divorcer."
Après le oui du toujours, le non du jamais. Devant un représentant de l'état, encore et toujours.
Cette dichotomie d'extrêmes, ultra symbolique, flippante tant elle est évidente, je ne m'en suis rendue compte qu'une fois sur place, 5 minutes avant d'entrer en audience.
Mon futur-ex-mari était venu me chercher.
Il est venu me chercher dans la même pièce où l'on s'est rencontré il y a sept ans. A l'époque, il passait me prendre pour m'emmener à une fête; là, il passait pour m'emmener me faire ma fête, et la sienne aussi. La nôtre. La fête, un mercredi matin à 10h.
Arrivés au tribunal des familles -nous on était contents de se voir, on flirtait comme des mômes de 14 ans qui sont pas là pour divorcer, mais alors pas du tout-, nos avocats ont insisté à plusieurs reprises : "Soyez bien clairs, dites clairement que vous ne voulez plus, dites lui "non", "non", non." Le texte était limpide : on devait dire NON. Mais nous deux, on n'a pas pu s'empêcher de s'envoyer des vannes, pour décompresser, et pour se draguer encore un peu : "Fais attention à toi nena, nous fais pas le coup de la fille qui hésite", "Ça, c'est plutôt ton genre à toi, gordo, sois bien sûr de toi cette fois, déconne pas."
Les avocats hallucinaient, nous on rigolait nerveusement, assis sur un banc, attendant notre tour, en se filant des coups de coudes. En fait, on évitait de se sauter dessus et de régler rapidement cette histoire dans les chiottes. On se retenait. Vraiment. Beaucoup.
C'est qu'on n'en pouvait plus. Sept ans. On n'avait plus rien à voir, lui c'était un homme maintenant, et moi plus question de me peindre un avenir doré devant mes yeux attendris et larmoyants, j'avais grandi, on n'était plus les mêmes et pourtant nos corps se reconnaissaient. C'est comme s'ils savaient mieux que nous comme ils sont faits l'un pour l'autre. C'est comme si on avait envie de foutre tout le reste à la poubelle pour ne garder que ça, son corps, le mien, nos regards, et cette évidence-là.
J'ai plaisanté alors : "On aurait pu être de bons cousins, bordel", et il a acquiescé. Si nos corps ne s'étaient pas adorés, j'aurais continué longtemps à être une petite chose à protéger pour lui, une petite sœur pleine de bon sens qu'on emmène boire des bières et manger des empanadas en terrasse.
Il a fallu qu'on baise, et qu'on gâche tout. Qu'on goûte à tout, et qu'on se recrache.
Idéalement, on pourrait s'aimer et se supporter dans un pays imaginaire, nus en peaux de bêtes, à vivre d'amour et de vache crue ; mais Cordoba n'a rien de l'Eden, et Paris non plus. On a bien fini par comprendre que ça ne marcherait plus. La machine à rêves s'est pétée : il est a bout du monde, dans une ville où je n'habiterai plus jamais, et puis il a une petite amie.
Alors c'est là que l'angoisse est montée, et que j'ai totalement compris, faute de modèles : divorcer, c'est dire un "non" aussi fort que le "oui" qu'on s'était promis.
Ça m'a fait mal rien que d'y penser, avant d'aller en audience, une fois toutes nos blagues graveleuses épuisées : vraiment, plus jamais jamais de chez jamais ? Même pas dans nos rêves les plus fous ? Bon.
D'accord.
Après tout, c'est bien pour cela que je suis venue.
Alors on est entré dans la salle la trouille au ventre, faut qu'on dise non, faut qu'on dise non, et le juge a vérifié nos noms. La date de notre mariage. Depuis quand j'étais partie. Où j'habitais désormais. Plus il a sobrement conclu :
"Vue la situation, je ne vais pas vous faire le protocole habituel. Je n'ai pas d'autres questions... C'est bon, le divorce est lancé."
C'est tout ? "Oui."
On était abasourdis. On s'était gonflé à bloc. Hé, juge, on doit dire non, non ? On a mille non si tu demandes, t'es plus cap ou quoi ? Je peux dire non, vas-y, demande !
Mais le juge a rien demandé de plus.
On n'a pas eu à dire non.
Pas clairement, comme les avocats nous incitaient.
Et c'est là aussi que j'ai capté un autre truc sur mon mariage, et mon divorce, puisque l'un ne va plus sans l'autre : en vrai, on n'a pas de raisons de se dire non.
D'ailleurs, c'est la dernière chose qu'on s'est dit, se quittant sur le quai tendrement affolés d'un au revoir à jamais ou à quand, tandis que je lui souhaitais sincèrement toutes les douceurs du monde et qu'il m'en désirait autant : on n'a jamais dit qu'on s'aimait plus, hein.
Et c'est peut-être ça la particularité d'un vrai mariage : on a vraiment dit oui. Pour la vie.
Sauf qu'on n'a pas bien précisé comment on comptait la vivre, cette vie, à la longue.
Apparemment, séparément.
6 commentaires:
UNA HISTORIA, VERLA DESDE AFUERA Y NO TANTO, EMOCIONARSE POR AMBOS LADOS, Y CONOCER MAS SOBRE LA VIDA, SOBRE LOS SENTIMIENTOS HUMANOS. QUE HERMOSA LA CONCLUSION A LA QUE HAS LLEGADO.
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J'ai juste fait "Blog suivant" , pour la première fois sur Blogspot, en haut, je n'avais jamais vu cette fonction! :o)
Et je suis tombée sur votre blog extraordinairement bien écrit et je me suis sentie si proche.
Si vous écrivez un bouquin un jour, faites le moi savoir, je ne veux pas le louper! Bonne journée
T'as l'air d'être une fille space mais en tout cas tes articles ils frappent droit au coeur. Je suis tombé sur le blog en deconnant et tappant Biffle sur G. Article étrangement profond sur le theme avec un point de vue inédit, le seul du genre sur la toile. Depuis je parcoure un peu le blog, pas trop vite pour pas trop avoir envie de crier juste pour me sentir vivant. Bref, t'as gagné un fan.
J'écrivais à une amie au Cambodge au sujet du speech d'un prêtre qu'on connait bien, sur la doctrine catholique, puis j'ai cherché la vie de saint Francois de Sales (parce qu'il en parlait), qui m'a amené à Jean Calvin, puis à la confession auriculaire, puis au psaume 51 de David "miserere" qui l'a écrit à cause de ses conneries avec la belle... Bethsabée. Et puis je suis tombée ici. Pas mal cette note sur le "non" à jamais du divorce opposé au "oui" pour toujours du mariage. C'est inspirant et pertinent, ca donne un lien intéressant entre deux choses contraires, l'un sacrement religieux, l'autre canevas juridique (la foi d'un côté, la loi de l'autre). Qui montre bien que la justice de l'amour n'est pas la justice de la vie en société (même si l'une et l'autre sont faites pour les hommes). Et l'antithèse oui/non compris dans leur totalité définitionnelle pour renforcer ces contraires (enfin, j'sais pas si en Normandie, on aurait pu avaler la pilule... Oui et non). C'est pas saint Paul qui dirait le contraire! ;) Bonne continuation!
La vie est un mystère avec de nombreuses questions qui nécessitent des réponses, à quels problèmes faites-vous face sur terre?
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